LES ROBOTS DE GOOGLE RÊVENT-ILS DE BASTONS ÉLECTRIQUES

Il y a bien une dizaine d’années de cela, lors d’une conversation tout ce qu’il y a de plus informelle, un proche ami m’a lâché tout de go « Google c’est Skynet ». Pour ceux qui ne sauraient pas à quoi ce rapprochement fait référence, un passage par Wikipédia s’impose. Pour les autres, on poursuit tout de go.

Maintenant que l’expression est pour ainsi dire entrée dans le langage courant – 1 860 000 résultats sur la recherche « google skynet » sur… google – je me plais souvent à penser que cet ami en est d’une certaine façon l’inventeur. A défaut de royalties, qui lui auraient assurer une confortable et précoce retraite, force est de constater que ce ne sont pas les vidéos publiées par Boston Dynamics qui vont lui donner tort.

Il faut dire que la créativité dont cette société – spin-off du MIT rachétée par Google fin 2013 – fait preuve pour produire du contenu vidéo aussi fascinant que dérangeant laisse songeur pour pas dire carrément indécis quant à la stratégie de communication visée.

Je vous laisse visionner la dernière en date, si ce n’est déjà fait puisqu’elle culmine à l’heure où j’écris ses lignes à presque 14 millions de vues.

 

Ça vous a plu ?

En toute honnêteté, ma première réaction serait plutôt de la fascination comme évoquée plus haut. Et quoi de plus naturel ?

Soyons clair : mes seules ressources en ingénierie sont celles d’un assembleur de Lego. Je n’ai aucune formation en mécanique, électronique, programmation, toute juste une vive curiosité pour les sciences, doublée d’une frustration toute aussi vive à ne pas en comprendre les rouages dès qu’on quitte la vulgarisation, un profil assez commun.

CETTE SÉQUENCE N’EST PAS SANS ÉVOQUER LES PREMIERS PAS D’UN FAON OU D’UN POULAIN

Cette fascination est avant tout celle d’un enfant qui, devenu adulte, a assisté en l’espace de seulement une trentaine d’années aux incroyables et exponentiels progrès réalisés dans d’innombrables domaines, parmi lesquels bien entendu celui de la robotique. Un peu comme si la réalité, chaussée de bottes de 7 lieux, avait subitement rattrapé la fiction, en lui tirant bien la langue au passage, pour lui signifier clairement qu’elle prenait désormais le contrôle.

Comment en effet ne pas s’émerveiller de cette mécanique capable de s’adapter, tel un être doté d’intelligence, au terrain sur lesquels elle évolue. Après avoir quitté en totale autonomie le Hall de la société, le robot progresse sur la neige, corrigeant à plusieurs reprise ses appuis pour éviter la chute. Cette séquence n’est pas sans évoquer les premiers pas, fragiles et imprécis, d’un faon ou d’un poulain venant de naître. Sauf que, et le détail est de taille, il n’évolue pas sur 4 pattes mais bien sur 2.

Se produit alors un réflexe d’empathie et même d’identification. Cet être de métal, c’est un peu nous, c’est un peu moi. Pour preuve, il ne nous a encore jamais été donné de voir en VRAI une création humanoïde répliquant nos mouvements de façon si confondante, si troublante. « Ecce homo » pourrait-on même s’écrier, si ce farceur de Ponce Pilate ne nous avait volé la réplique il y a 2000 an.

Passons rapidement sur la suite du programme : Atlas – c’est le petit nom donné au robot et pour rappel un des titans de la mythologie grecque qui défièrent le pouvoir de Zeus – s’empare d’un carton, qu’il dépose en un geste à la fois vif, précis et précautionneux, sur des étagères. Rien d’exceptionnel sur ce coup là, si ce n’est sans doute nous montrer qu’il a aussi des bras.

UNE TOUTE AUTRE DIMENSION, ÉMINEMMENT BELLICISTE ET DÉSTABILISANTE

C’est après que ça se corse et que le malaise se fait jour pour gagner en intensité jusqu’au climax final.

Un homme se prête à ce qui pourrait ressembler de prime abord à un jeu. A l’aide d’une crosse de hockey, il dupe le robot à plusieurs reprises, l’empêchant de se saisir d’un carton qu’il lui fait tomber des pinces. Atlas, tout concentré à sa tâche , ne se démonte pas et poursuit inlassablement sa progression. Le hic, c’est que cette interaction entre l’homme et la machine pourrait être traduite de façon ludique, voire dans la logique d’un apprentissage. Il n’en est rien : l’homme n’esquisse jamais un sourire, il serre les dents mêmes. Bref on n’est pas là pour rigoler et la démo prend un tout autre tour, visant d’emblée un objectif évident : montrer au yeux du monde qu’Atlas n’abandonne jamais !

La suite et la fin de la séquence basculent alors dans une toute autre dimension, éminemment belliciste et assez déstabilisante, au propre comme au figuré. L’homme, maintenant doté – armé ? – d’un long tube de carton rigide, en se plaçant dans le dos d’Atlas, le projette violemment au sol, face contre terre.

Ainsi, après la compassion et l’identification, viendrait le temps de montrer qui demeure le maître, de l’homme ou de la machine. Oui et puis non en fait, car Atlas tel le T800 du 1er volet de Terminator – on y arrive – se relève de lui même, sans difficulté aucune. Il montre alors sa toute puissance : trompez le, bousculez-le jusqu’à le faire chuter, imperturbable il poursuivra sa mission.

Et c’est bien de là que naît le trouble ! Jugez plutôt : depuis plus d’un siècle la littérature, le cinéma puis les séries TV, au travers des thèmes de la SF et de l’anticipation, nous interrogent sur notre rapport avec notre double robotique. Des exemples ?

En littérature : Gaston Leroux et sa Poupée ensanglantée, Isaac Asimov et ses nouvelles Les robots, les romans visionnaires de Philip K. Dick – merci au passage pour le titre de ce billet. Au cinéma : MétropolisPlanète InterditeAlienBlade RunnerRobocop, Intelligence ArtificielleI, RobotElysiumChappie. Parmi les  séries TV enfin : Holmes et YoyoAlmost HumanReal Humans . Et encore je fais volontairement l’impasse sur les films et séries d’animation, de toutes provenance et plus particulièrement japonaises où c’est un genre en soi.

La quasi intégralité de toutes ces oeuvres ont un point commun : leur procédé narratif nous confronte à notre double pour nous interroger sur la part d’humanité qu’il recèle.  Depuis toujours leurs auteurs avaient intégré que l’apogée technologique ne serait pas mécanique mais relèverait de l’intelligence artificielle et donc de la capacité des machines à ressentir des émotions aussi complexes que celles dont nous sommes dotées.

Alors pourquoi Boston Robotics s’évertuent-ils au fil des vidéos qu’ils publient, à distiller un profond malaise en proposant un spectacle focalisé sur les rapports de force, plutôt que sur l’entraide et les facultés d’altruisme vers lesquelles leurs programmes de R&D en intelligence artificielle pourraient tendre ?

LES APPLICATIONS VISÉES SERONT MILITAIRES ET SÉCURITAIRES OU NE SERONT PAS

Est-ce que par ce qu’ils confient leur ligne éditoriale et la production de leurs vidéo à un stagiaire, voire à un de leurs collaborateurs, fan et geek de vidéo et qui fignole ces montages chez lui durant le WE ?

Pour le coup, vous me permettrez de penser que ce n’est pas La dictée magique qui préside à la communication de Boston Robotics mais plutôt Hal 9000. C’est même assurément une team complète, rompue à toutes les techniques, stratégies et modèles opérationnels du marketing, qui se concerte en amont de la publication de toute information quelqu’en soit le média. Pas un mot, pas une image, pas un plan qui ne soit disséqué, soupesé, afin que le message transmis marque les esprits et touche sa cible.,

Car Boston Robotics a d’ores et déjà identifié ses cibles et ses marchés : les applications visées seront militaires et sécuritaires ou ne seront pas. Peu importe que leurs vidéo dérangent et perturbent le grand public et génèrent des milliers d’articles désapprobateurs dans le monde, comme c’est le cas avec celle-ci. Ce ne sont pas des bourdes et encore moins de la communication mal maîtrisée. C’est donc par cynisme et bien droite dans ses bottes que la filiale du mogul de Mountain View entend propager son message guerrier. Qui doutera désormais de sa stratégie de développement ?

Au rythme où vont les choses – cf. la fulgurance des progrès technologiques évoquée plus haut – on peut raisonnablement s’attendre à voir, d’ici 10 à 20 ans, des robots intégrer les forces armées des nations qui pourront s’en doter. Selon toute logique, ils seront dans un premier temps de forme animale, puis bipède humanoïdes. Les drones en offrent un avant goût, un tour de chauffe, avant un déploiement terrestre cette fois. Qu’en sera-t-il ensuite concernant les forces de l’ordre, voire mêmes nos administrations ?

L’avenir nous le dira, mais la fiction nous a déjà délivré quelques pistes, que la réalité ne cesse de confirmer. Sur ce, je conclus exceptionnellement par une seconde vidéo et vous invite, pour contrebalancer, à découvrir les créations robotiques de la société Alderaban Robotics, nettement plus pacifiques et rassurantes quant au futur qu’elles préfigurent.

Ah sinon, le roboticien britanniqueTony Dison, créateur de R2D2, est décédé le 3 mars dernier et cet article lui est dédié.